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mercredi 4 avril 2007

Cette histoire m'a tellement renversée, je vous la raconte :

À l'université, je travaille souvent avec une femme. La cinquantaine avancée, elle est chic, belle et elle a toujours de bonnes idées. Je précise qu'elle est chic et belle uniquement pour situer les choses. À sa place, je serais cernée jusqu'aux orteils et au bout du rouleau depuis longtemps (encore plus).

Cette femme, qui est aussi mère d'un enfant autiste, enseigne le français au secondaire. Elle prendra sa retraite dans un an. Elle a choisi ce cours, qui porte essentiellement sur la communication avec les enfants autistes, pour mieux communiquer avec son propre fils. Il y a deux ans, lorsque son fils avait 10 ans, il a fait une dépression majeure, avec hospitalisation. L'intégration en classe régulière était un échec. Après le retrait de cette classe, et son admission en classe TED cette année, son psychiatre a noté une réelle amélioration et maintenant, ça va mieux.

Pendant notre travail d'équipe, elle me parlait de l'impossibilité pour son fils de parler et de répondre au téléphone. Elle m'a aussi montré des photos de son garçon sur lesquelles on notait (surtout elle), son incapacité de sourire. J'essayais de trouver avec elle des moyens pour l'aider avec cette histoire du téléphone, mais elle m'a dit qu'en fait, toute les situations de la vie quotidienne étaient problématiques. Désamparée, je ne savais quoi ajouter... Elle a fini par dire : "Au moins, lui, c'est pas le plus heavy sous mon toît..." Plus tard, j'ai appris qu'elle et son mari étaient également une famille d'accueil pour deux autres enfants.

Le deuxième enfant a une déficience légère, avec troubles obsessionnels compulsifs sévères. C'est un hyperactif qui est aussi insomniaque. Aucune médication (enfin... une fonctionne 3 heures) ne le fait dormir et il a aussi des obsessions reliées à la noirceur : il dort habillé, lumières allumées, avec la radio en plus. Il ne mange aucun aliment solide.

L'autre garçon a 15 ans et a un trouble sévère de l'opposition associé au syndrome Gille de la Tourette. Il est incontinent (relié à l'opposition), fréquente une école pour troubles de comportement et souvent, il est suspendu. Elle me disait à quel point cet enfant est difficile, comment absolument tout est pénible, comment ils ne peuvent jamais faire une activité "en famille"... comment il ne sera jamais fonctionnel. Sa psycoéducatrice et son psychiatre notent cependant une légère amélioration de ses symptômes depuis deux ans.

Les trois garçons sont respectivement âgés de 12, 13 et 15 ans.
Le bel âge...

Pendant la dernière semaine, je n'ai cessé de me demander comment elle arrivait à s'occuper de tout ça, tout en enseignant à temps plein et en suivant deux cours à l'université. Cette question m'a tellement tiraillée, que j'ai fini par conclure que son mari faisait tout le boulot, qu'il était à la maison à temps plein, qu'il veillait à tout. Il fallait forcément que ce soit lui, non ?

Fière de cette conclusion, je n'ai pu m'empêcher de lui en faire part mercredi dernier. Elle m'a répondu : "Tu sais, mon mari est sous-ministre de l'éducation, il est parti en moyenne 70 heures par semaine, parfois plus. La clé du mystère, dans toute cette histoire, c'est de ne jamais voir plus loin que l'heure qui passe..."

... (à ces mots, j'ai eu l'idée de lui faire un Get out ! comme Elaine, mais comme elle est chic et belle, j'ai pas osé..)

Pour moi, c'est maintenant clair : il y a des mécanismes humains qui me dépassent.

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